Le Nouveau Libertarien

Existe-t-il un droit d’immigrer ? Le problème de l’immigration dans une société libre selon Hans-Hermann Hoppe.

La question de l’immigration est plus que jamais au cœur des débats politiques en France, comme en témoignent les violentes polémiques qui ont accompagné la récente adoption à l’Assemblée nationale de la « loi immigration ». De part et d’autre du spectre politique, on invoque tantôt des valeurs abstraites, qu’il s’agisse de la défense de nos valeurs fondamentales ou de l’identité nationale en faveur de la fermeture des frontières, tantôt des impératifs socio-économiques, en faveur de l’immigration ; comme la nécessité de combler notre déficit démographique pour financer un système de retraire par répartition déficitaire.

Quelles sont les réponses libérales ou libertariennes au problème de l’immigration ? On accuse volontiers les libéraux de faire preuve de naïveté sur ce sujet, de ne pas voir les dangers réels ou supposés de l’immigration, ou bien de faire le jeu d’un patronat désireux d’importer une main-d’œuvre bon marché.

Un auteur libertarien s’est particulièrement intéressé à ce problème ; Hans-Hermann Hoppe. Nous nous bornerons simplement ici à présenter succinctement ses principales thèses, dans l’espoir de nourrir le débat public sur le sujet.

Pour Hoppe, la réponse à ce problème réside dans une défense intransigeante du droit de propriété. Le droit de propriété est d’abord un droit d’exclusion. Il consiste, pour le propriétaire, dans le pouvoir de décider qui a le droit ou pas d’entrer sur sa propriété. En effet, dans une société anarcho-capitaliste, où chaque parcelle du territoire est possédée par un propriétaire clairement identifiable, y compris les rues et les routes, l’immigration ne pose pas de problème. Chacun est libre d’accueillir ou de refuser qui lui chante sur sa propriété, en fonction de critères qu’il lui plaira d’adopter. Chaque pouce du territoire étant la propriété de quelqu’un, il n’existe nul droit de s’y déplacer librement sans le consentement des propriétaires.

Dans un tel scénario, les propriétaires assument l’intégralité des coûts de l’accueil des personnes qu’ils souhaitent faire venir, sans pouvoir s’en défausser sur un tiers. Sachant qu’ils devront en assumer les conséquences, ils ont une forte incitation à agir de manière responsable et à être regardant sur le type d’individus qu’ils invitent sur leur propriété.

Toutefois, la situation est bien différente dans un cadre étatisé. Dans un tel contexte, le droit d’exclure devient le monopole de l’État. En effet, la politique migratoire de l’État se caractérise par deux traits selon Hoppe ; l’intégration forcée et l’exclusion forcée :

Hans-Hermann Hoppe

Maintenant, si le gouvernement exclut une personne qu’un citoyen propriétaire est pourtant prêt à accueillir chez lui, le résultat est une exclusion forcée – un phénomène qui n’existe pas dans une anarchie régie par la propriété privée. Inversement, si le gouvernement accueille un individu alors que pas même un seul national ne souhaiterait le recevoir sur sa propriété, le fruit en est une intégration forcée – également inexistante avec un régime d’anarchie fondée sur le principe de propriété privée1.

Qu’est-ce qu’un État ? Un État est une institution jouissant d’un « monopole de prise ultime de décision et d’arbitrage en matière d’arbitrage des conflits sur un territoire donné ». L’autre attribut de l’État est son pouvoir de lever des impôts pour financer « ses services de fournisseur monopolistique du droit et de l’ordre ». Pour Hoppe, l’immigration ne devient véritablement un problème qu’avec l’instauration d’un État national. En effet, la différence entre étrangers et nationaux est concomitante de l’apparition de l’État. Dès lors, le problème change totalement de nature :

Hans-Hermann Hoppe

L’immigration devient l’immigration d’étrangers à travers les frontières étatiques, et la décision d’admettre ou non une personne ne relève plus exclusivement des propriétaires privés ou des associations de propriétaires, mais au final de l’État comme producteur monopolistique local de la sécurité2.

En monopolisant la souveraineté sur un territoire donné, celui-ci s’arroge le droit exclusif d’accueillir ou de refuser des étrangers, en lieu et place des propriétaires légitimes qui y résident. Il peut ainsi imposer la présence de personnes indésirables et empêcher l’arrivée de celles que certains propriétaires souhaitent pourtant accueillir.

Hoppe propose de se réapproprier ce droit d’exclure accaparé par l’État. À défaut d’un système anarcho-capitaliste, l’État devrait, au minimum, se comporter comme un gardien de résidence privée. En effet, les biens publics, les infrastructures, les parcs, les routes appartiennent aux contribuables nationaux qui les ont financés avec leurs impôts. Ils en sont donc les propriétaires légitimes et à ce titre devraient avoir un droit de regard sur qui peut y accéder ou non. Dans cet esprit, l’État devrait vérifier que les étrangers présents sur le territoire ont bien reçu une invitation nominative de la part d’un propriétaire et expulser ceux n’en n’ayant pas :

Hans-Hermann Hoppe

Du moment où il devient manifeste que le gouvernement tolère ou – même – encourage dans les faits l’intrusion et l’invasion d’étrangers en nombre, lesquels n’ont été d’aucune manière invités et ne sauraient – même avec l’imagination la plus vive – être considérés comme étant les bienvenus, il y a ou pourrait y avoir une menace contre la légitimité du gouvernement et des pressions pour le forcer à adopter une politique d’admission plus restrictive et discriminante3.

Les citoyens peuvent toujours tenter de faire pression sur le gouvernement pour qu’il protège leurs droits de propriété. Cependant, Hoppe pense qu’un État démocratique est peu susceptible de le faire, car les hommes de l’État ont de nombreuses incitations à violer ces droits4.

Selon lui, la solution optimale au problème de l’immigration est l’instauration d’une « anarchie régie par la propriété privée« . Ce n’est qu’à cette condition que les individus pourront se réapproprier le droit d’exclure, véritable signification du droit de propriété, que les hommes de l’État ont accaparé à leur seul profit. Mais c’est là un aspect que nous développerons dans un autre article.

Conclusion :

À moins d’émigrer dans une région désertique, il n’existe pas, à proprement parler, de droit d’immigrer pour Hoppe ; pas plus qu’il n’existe un droit d’entrer sur la propriété d’autrui sans y avoir été invité par l’intéressé. En revanche, il existe bien un droit d’inviter qui l’on souhaite, et de s’associer ou de contracter avec qui on le souhaite, étranger ou national.


  1. Hans-Hermann Hoppe, « Liberté d’immigré et intégration forcée », dans La grande fiction. L’État, cet imposteur, Éditions le drapeau Blanc, 2016, pp. 135-136 ↩︎
  2. Hans-Hermann Hoppe, « Libre échange et immigration limitée » dans Démocratie, le Dieu qui a échoué, Œuvre publiée sous CCO, 2020, p. 182. ↩︎
  3. Hans-Hermann Hoppe, « Liberté d’immigration et intégration forcée », Ibidem, p. 125 ↩︎
  4. Sur les incitations perverses poussant les dirigeants d’un État démocratique à adopter des politiques destructrices de la propriété, voir Hans-Hermann Hoppe, « La monarchie, la démocratie et l’idée d’ordre naturel », dans Démocratie, le Dieu qui a échoué, Œuvre publiée sous CCO, 2020, pp. 49-82. ↩︎

Soutenez notre lancement !