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Éloge de l’individualisme (Première partie)

Le libéralisme est d’abord une philosophie individualiste.

Il est courant dans les milieux conservateurs de se lamenter des effets supposés néfastes de l’individualisme moderne sur les mœurs privées et publiques. La décadence des mœurs accompagnerait partout l’affirmation de l’individu et de ses droits. En effet, les individus, en revendiquant leurs droits, feraient passer leurs intérêts particuliers avant l’intérêt du groupe auquel ils appartiennent, menaçant l’ordre social dans son entier et affaiblissant le pays.

Ainsi, la puissance de l’État-nation ne s’obtiendrait qu’en brimant l’individu et en le subordonnant à de grandes fins sociales dont il ne serait qu’un simple moyen. La relation entre l’État-nation et l’individu ressemblerait ainsi donc à une sorte de jeu à somme nulle où les gains de l’un seraient les pertes de l’autre, évoquant par là même une forme de collectivisme moral, typique des conceptions organiques de la société, pour laquelle l’individu n’est rien et la communauté est tout.

Nous affirmons que cette analyse est très largement fausse, à condition de comprendre adéquatement ce qu’est l’individualisme moderne. En effet, nous pensons que, bien loin d’affaiblir la nation, la valorisation de l’individu et la protection de ses droits sont les principales sources de la prospérité et de la puissance des pays occidentaux.

À ce titre, rejeter l’individualisme serait suicidaire.

L’homme, créature rationnelle et autonome

L’individualisme insiste en premier lieu sur l’autonomie de l’homme :

« Le propre de l’individu humain est en effet de pouvoir se décider par lui-même à partir de représentations et de normes émanant de sa réflexion critique, qu’il est apte à traduire en stratégies et en actes (pouvoir sur soi) ».

Laurent Alain. Histoire de l’individualisme, Paris, PUF, 1993, p. 5.

L’individualisme considère l’homme comme une créature rationnelle et autonome, capable de distinguer le vrai du faux et le bien du mal en faisant usage de sa raison. Le fondement de l’autonomie de l’individu réside dans sa rationalité. En effet, c’est parce qu’il possède la capacité de juger des choses en fonction de critères fournit par sa raison qu’il peut ne pas être le jouet passif de forces extérieures (sociales, etc.) échappant totalement à son contrôle.

D’un point de vue moral, l’individualisme repose sur une valorisation de l’individu. Cette valeur accordée à l’individu est un héritage du christianisme. C’est parce que l’homme est fait à l’image de Dieu qu’il a une dignité, c’est-à-dire que sa personne à une valeur en soi. Dans la théologie catholique, cette ressemblance avec Dieu se fondait sur le fait que, à l’image du Père, l’homme est, lui aussi, doué de libre arbitre et de raison.

L’individualisme libéral va séculariser cette doctrine.

L’autonomie de l’individu

La philosophie libérale à partir du XVIIe siècle va progressivement opérer une sécularisation de cette vision de l’homme héritée du christianisme. En insistant sur l’autonomie de l’individu, comme être libre et rationnel, dont la vie revêt une valeur intrinsèque, le libéralisme s’affirme foncièrement comme un individualisme. Il est la traduction politique de la doctrine morale qu’est l’individualisme. Autrement dit, le libéralisme est d’abord politique – et non économique.

Puisque le droit doit régir une société d’individus caractérisés par leur liberté, il doit consister dans la protection de cette liberté. Ce droit, la pensée libérale la définira à partir de John Locke comme la possibilité de poursuivre ses propres fins, de jouir librement de sa vie et de ses biens. Plus précisément, un droit peut être défini comme le fait de ne pas être sujet à la coercition d’autrui et à son ingérence arbitraire dans mes propres affaires sans mon consentement.

Ce principe définit simultanément mes droits et mes devoirs ; le droit de jouir de ma liberté implique le devoir de respecter la liberté d’autrui. Autrement dit, j’ai le droit de faire tout ce que je juge nécessaire d’accomplir pour satisfaire mes intérêts tant que je ne cause pas de torts à autrui, c’est-à-dire tant que je ne viole pas sa liberté (principe de non-nuisance ou de non-agression) :

« Ainsi, pour chaque individu, un droit est la sanction morale d’un principe positif, c’est-à-dire de sa liberté d’agir selon son propre jugement, en fonction de ses propres objectifs, en vertu de ses propres choix volontaires, non contraints. À ses semblables, les droits d’un homme n’imposent aucune obligation, sauf d’un genre négatif : s’abstenir de violer ses droits ».

Ayn Rand, « Les droits de l’homme », dans La vertu d’égoïsme, Paris, Les Belles Lettres, p. 109.

Chacun a besoin de la coopération d’autrui

Mais pourquoi accepterais-je, en tant qu’individu, une telle limitation de ma liberté ? Pourquoi ne pas maximiser mon intérêt sans me soucier des intérêts d’autrui ? Tout simplement parce que ça n’est pas dans mon intérêt.

En substance ; les individus sont principalement mus par leur intérêt. Toutefois, chacun a besoin de la coopération d’autrui pour satisfaire un grand nombre de besoins (se nourrir, se vêtir, se loger, se reproduire, etc.). Je peux satisfaire tous ces besoins par moi-même, certes (excepté la reproduction, bien entendu). Mais la coopération sociale permet de les satisfaire plus efficacement. Or, comme le remarque Ayn Rand, il n’y a que deux moyens d’obtenir ce que je veux d’autrui ; soit l’agression (le vol), soit l’échange volontaire. L’échange volontaire est toutefois le seul moyen d’obtenir ce que possède autrui tout en respectant sa qualité d’individu libre et autonome et son droit de propriété :

« Le principe de l’échange est le seul principe éthique rationnel pour toutes, les relations humaines, personnelles ou sociales, privées ou publiques, spirituelles ou matérielles. C’est le principe de la justice. Celui qui applique le principe de l’échange est un homme qui gagne ce qu’il obtient et qui ne donne ni ne prend ce qui n’est pas mérité. Il ne traite pas les hommes comme des maîtres ou des esclaves, mais comme des égaux indépendants. Il fait affaire avec eux au moyen d’échanges libres, volontaires, non forcés et non coercitifs, échanges qui bénéficient à chaque partie selon leur propre jugement indépendant ».

Ayn Rand, « L’éthique objectiviste », dans Une philosophie pour vivre sur la terre, Paris, Les Belles Lettres, 2019, p. 152.

Je respecte votre droit de propriété, votre intégrité physique et votre liberté si vous vous engagez à en faire autant vis-à-vis de moi. Et ainsi, nous serons mieux vous et moi. La morale peut ainsi être vue, d’un point de vue individualiste, comme un ensemble de règles auxquelles nous nous soumettons volontairement afin de favoriser la coopération sociale et sanctionner les comportements agressifs ou violents qui la compromettent. Morale et intérêt, liberté individuelle et responsabilité se trouvent par là même intimement liées. Pour le dire autrement, la morale, dans cette perspective libérale, repose sur la reconnaissance mutuelle de notre qualité d’être libre et rationnel et sur l’intérêt que nous avons à coexister paisiblement.

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