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Justice constitutionnelle en France : utopie d’un système partial

La justice constitutionnelle en France est assurée par un organe unique, et singulier dans le monde juridique : le Conseil constitutionnel. Composé de neuf juges nommés par diverses autorités, son rôle, ses missions et compétences sont principalement exposés par la Constitution du 4 octobre 1958, texte qui fera naître cette juridiction. Juridiction unique pour deux raisons : le Conseil constitutionnel est le seul juge de la constitutionnalité des lois, donc de la vérification de leur conformité à la Constitution, et le unique car jamais ne sera trouvé d’équivalent dans le système judiciaire Anglo-Saxon, dit de “Common Law” où le juge ordinaire endosse également le rôle de juge constitutionnel.

Cependant, l’organisation de cette institution de la Vème République, de sa conception aux différentes mutations de notre régime pose de grands problèmes, et de grands périls pour le citoyen et la Liberté que le juge est censé garantir. Pour comprendre cela, il conviendra d’exposer premièrement ce qu’est le Conseil constitutionnel avant d’en établir la critique, dans un article un peu technique.

Partie I : Le Conseil constitutionnel et ses missions

A) Le contrôle de constitutionnalité des lois et la régularité électorale

Le contrôle de constitutionnalité, ou autrement le contrôle de la conformité de la loi à la Constitution, norme suprême (cf. H. Kelsen, Théorie pure du droit, 1934) est la traduction pratique du travail du Conseil. Mission répartie entre un contrôle a priori, destiné à contrôler la constitutionnalité des lois avant leur entrée en vigueur (saisine de diverses autorités de l’exécutif ou du Parlement) ou a posteriori depuis 2008-2010 avec l’entrée en vigueur de l’article 61-1 de la Constitution et la naissance de la fameuse “QPC” (Question Prioritaire de Constitutionnalité) voulue par R. Badinter, permettant de saisir le Conseil à l’occasion d’une instance lorsqu’une question réelle, inédite et sérieuse se pose, relative aux droits constitutionnels (comprenant également la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et la charte de l’environnement de 2004, entre autres) se pose.

Le Conseil constitutionnel est également l’institution qui vérifie le respect des règles électorales relatives aux élections présidentielles, législatives et sénatoriales. Cela n’est cependant pas sa seule mission.

B) La protection des droits fondamentaux

Au travers d’une jurisprudence (décisions de justice rendues) bien fournie depuis 1958, le Conseil constitutionnel a su s’illustrer à de nombreuses reprises dans une œuvre de protection des droits fondamentaux garantis par le bloc de constitutionnalité : Liberté d’association (1971), la controversée décision “IVG” (1975), respect du principe du contradictoire (1989)…

Sa raison d’être étant de trancher des litiges à l’aune du texte constitutionnel et de ce qui l’entoure, le Conseil a néanmoins étendu son champ de compétence à de nombreuses reprises, en intégrant plus de références à son contrôle (intégration de la DDHC de 1789 au champ du contrôle : décision 16 juillet 1971 par exemple) dans une optique de maximisation de la protection qu’il peut offrir. A la manière du Conseil d’Etat, juridiction à la tête de l’ordre administratif qui a démontré une capacité à se placer du côté du citoyen, le Conseil constitutionnel n’est néanmoins pas exempt de critique quand à son indépendance mais aussi la portée de ses décisions.

Partie II : Critique de l’organisation de la justice constitutionnelle en France

A) Composition, nomination et impartialité des membres

Un conseil, c’est un groupement restreint d’individus. Un Conseil constitutionnel, c’est un groupement restreint d’individus bien choisis ayant toute puissance dans un pays. Sans entrer dans le détail juridique, on notera qu’il détient l’autorité absolue de chose jugée, c’est à dire l’irrévocabilité de ses décisions : une fois une décision rendue, personne ne peut interjeter appel ou faire un quelconque recours, et c’est au final assez logique1.

Problématique de la nomination des membres

Le Conseil constitutionnel (“CC” pour les intimes) est composé de neuf membres, tous nommés. Ainsi, trois membres sont nommés par le président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Si l’on repassera sur la notion même de l’indépendance du juge quand ce dernier est nommé par le chef de l’exécutif, ce qui ferait bondir Montesquieu de sa tombe, la nomination des six autres membres par les présidents des assemblées parlementaires pose un réel autre problème, en particulier depuis 1962 : suite à la réforme menée par le général de Gaulle, le suffrage universel direct est adopté comme mode d’élection du président de la République, y adjoignant une superposition des calendriers électoraux entre élection présidentielle et législative. Naquît le fait majoritaire, soit le fait de voter pour des députés (législatives) de la même couleur politique que le président de la République, élu quelques mois plus tôt. Or, vous savez que les présidents des assemblées parlementaires sont élus par ces mêmes parlementaires. On se retrouve à la fin avec trois autorités de la même couleur politique, qui vont nommer neuf juges aux décisions irrévocables qui tranchent les litiges les plus sensibles du pays…

Comment ne pas également exposer que le Conseil constitutionnel voit ses membres nommés passer devant une commission parlementaire chargée d’approuver ou non les candidatures. Pas de barrière d’entrée relative à une expérience suffisante ou même un simple diplôme en droit, pas de contrôle de la population sur ces juges, et une fois nommés, pas de contrôle tout court. Membres politiques pour l’écrasante majorité, le CC se révèle être le parfait lieu de villégiature pour ministre retraité après de bons et loyaux services, en y indiquant parfois à sa présidence des individus ayant été lourdement accusés dans divers scandales politiques, économiques ou sanitaires2. En 1999 le CC statue par ailleurs sur la question de la constitutionnalité de la nomination de ses propres membres et déclare le processus conforme à la Constitution.

L’entrée en fonction de ses membres par la nature discrétionnaire de leur nomination, la motivation politique qui en découle ne présentent alors aucune garanties du respect de l’Etat de droit, ou mieux encore, de la séparation des pouvoirs et d’une bonne administration d’une justice indépendante, fiable et impartiale. C’est la mission principale de l’Etat qui est alors en péril, dans sa finalité de lutte contre la vengeance privée, le magistrat apparaît depuis Rome comme l’outil de la résolution externe du conflit, le pacificateur dans la cité. Qu’en reste-t-il lorsque ce dernier est juge et partie, au dessus des lois, et corrompu par son lien évident avec le pouvoir politique ?

B) Proposition de résolution des problèmes posés par le Conseil constitutionnel

Quelles propositions formuler pour à la fois atteindre un objectif de justice constitutionnelle claire, accessible et indépendante “par nature” ?

Dans une approche minarchiste classique, on ne nie pas l’importance de l’existence d’une organisation étatique. Si chez les anarcho-capitalistes la justice est un concept encore différent3, il conviendra de se limiter à une proposition en faveur d’une justice étatique, organisée. Alors, comment faire ?

Raisonnement

La solution doit sauter aux yeux de tout individu un tant soi peu libéral : Remplacement du CC par le juge ordinaire. Plusieurs raisons s’offrent à cela : le nombre important de juges permet d’éviter une corruption bien trop facile d’un congrès de neuf malheureux membres, en plus d’une possibilité ouverte d’appel (de recours) formé par l’une ou l’autre des parties lésées par la décision. On constatera également une réactivité plus importante des juges ordinaires qui avaient de toute manière déjà un droit de juger de la “pré-constitutionnalité” des demandes4.

Une deuxième étape consiste en l’établissement d’une compétence de principe de la Cour de cassation en matière constitutionnelle, en dernier ressort. En gros, on finit par donner la possibilité aux requérants de former un pourvoi (un recours) pour la décision injustifiée sur le plan constitutionnel rendue par un juge ordinaire. Pourquoi la Cour de cassation ? Parce que la justice administrative est en soi une œuvre gouvernementale, elle ne finit que par être utile au Gouvernement, en plus d’être un sujet d’incohérences dans ses décisions contraires à l’ordre judiciaire5. Ainsi, outre la suppression pure et simple de la dualité d’ordres pour en revenir à un modèle de juridiction de droit commun indépendante des pouvoirs exécutifs et législatifs, il convient d’abord de doter l’autorité judiciaire “gardienne des libertés individuelles”6, du pouvoir de trancher des litiges constitutionnels.

Une troisième étape, importante pour le processus démocratie, républicain (dans le sens originel de la res publica), est l’élection des juges par le peuple organisé en circonscriptions judiciaires. L’élection sur une liste d’individus autorisés à concourir après l’obtention d’un agrément (et d’un diplôme en droit) permet ainsi un meilleur contrôle populaire de la politique judiciaire, notamment en matière de répression, par le choix d’un juge plus ou moins répressif.

Propos conclusif

Un article long pour un sujet complexe mais absolument nécessaire. La manière dont justice est rendue, surtout en matière constitutionnelle, c’est à dire politique, ne doit pas intéresser les seuls juristes, mais au plus large, tout citoyen. Car cela tient de son rôle : il définit le contrat social duquel découle la politique qu’il réalise, avant de rendre justice selon ces principes. L’importance du Conseil constitutionnel est bien sous-évaluée dans notre pays et cela doit nous alerter. Ce sont les institutions qui font peu ou pas de bruit qui sont les plus dangereuses, et coûteuses, prenons l’exemple du parfaitement inutile CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) qui se trouve “dans l’impossibilité matérielle”7 de travailler.

Le Conseil constitutionnel est un organe de contrôle qui n’en subit aucun. L’interrogation de plusieurs universitaires que j’ai pu réaliser ces deux dernières années sur cette question confirme par ailleurs la nécessité de rendre ce sujet important dans la place du débat démocratique, si elle existe encore. Un grand pouvoir donné à si peu d’individus si bien ou mal choisis avec une absence totale de contre pouvoirs constitue ainsi un danger important pour le citoyen, à la fois soumis à une potentielle injustice judiciaire, et soumis à un réel “gouvernement des juges” qui ne se trouve pas chez le juge ordinaire, mais chez le juge constitutionnel. Ainsi, il convient de revenir à la pensée de Alexis de Tocqueville, Montesquieu, Rousseau ou Locke, qui fondent la base de notre pensée juridique et politique moderne : séparation stricte des pouvoirs, indépendance absolue du judiciaire sur le reste et retour à un gouvernement civil encadré et surveillé, réduit à ce qu’il doit faire : justice, défense, sécurité intérieure et diplomatie.

  1. La logique derrière cela étant que le juge constitutionnel statue selon la Constitution, norme suprême, la juridiction n’aurait théoriquement pas d’échelon supérieur qui lui serait opposable. ↩︎
  2. On rappellera que l’actuel président du Conseil, Laurent Fabius, a été accusé dans l’affaire du sang contaminé et comparaissait en 1999 devant la Cour de Justice de la République pour “homicide involontaire”, relaxé par la suite. ↩︎
  3. V. article Le libertarien, L’anarcho-Capitalisme face au défi de la sécurité et de la justice, février 2024 ; https://lenouveaulibertarien.fr/lanarcho-capitalisme-face-au-defi-de-la-securite-et-de-la-justice/ ↩︎
  4. Ici, on retiendra que la procédure de la QPC passe d’abord par un premier filtre : le juge en cours d”instance. Ce dernier va saisir (ou non) la juridiction supérieure de son ordre (Cour de cassation ou Conseil d’Etat) qui effectuera un second filtre avant de déférer (ou non) devant le Conseil constitutionnel la question. Au final, le juge ordinaire effectue un premier petit contrôle pour estimer le caractère “sérieux” de la demande. ↩︎
  5. On peut citer la décision du Conseil d’Etat du 7 octobre 2022 : les personnes morales ne sont pas privées du droit à la vie privée. Cela est en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur le même sujet. ↩︎
  6. Article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958. ↩︎
  7. Rapport annuel de la Cour des comptes, 2015, Tome II, La gestion du Conseil Economique Social et Environnemental : Une volonté de réforme, des efforts à poursuivre : “En effet, le régime de congés n’a, jusqu’à présent, pas évolué : les agents bénéficient toujours de 54 jours de congés, qui, ajoutés aux 104 samedis ou dimanches et aux 207 jours de travail mentionnés plus haut, aboutit aux 365 jours annuels. Considérant qu’à ces 54 jours doivent s’ajouter les jours fériés légaux, soit 11 jours par an, le nouveau régime de travail place les agents du CESE dans l’impossibilité matérielle d’atteindre le quota théorique de 1 607 heures“. ↩︎

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